Publié le 10·04·2024

Bien-être au travail des entrepreneurs et indépendants : «Indépendant, oui, mais pas inévitablement seul»

Autheur Auteur·e Catherine Choque

Temps de lecture 6 min.

Suite à la crise Covid et ses effets sur la santé des individus, la question de la « santé mentale » des travailleurs, englobée dans la santé et le bien-être au travail, constitue plus que jamais un enjeu majeur pour l’ensemble de la société. Les indépendants et les indépendantes n’en sont pas exclus. Cette crise sanitaire n’a fait que mettre en lumière la situation particulière et parfois complexe des entrepreneurs au sein de notre pays.

Le bien-être chez les indépendants est une thématique que les Caisses d’Assurance Sociale connaissent bien à travers leurs contacts journaliers, leurs actions et leurs enquêtes : certains indépendants s’en sortent bien alors que d’autres rencontrent davantage de difficultés, que ce soit concernant les aspects administratifs, logistiques, financiers, de ressources humaines… en délaissant trop souvent la dimension de la prévention et de la gestion dynamique de leurs risques.

Au sein des entreprises et des organisations qui emploient au moins un travailleur, et pour autant qu’ils ne s’en chargent pas en interne, l’affiliation à un Service Externe de Prévention et de Protection au Travail (SEPPT) permet d’intégrer à leur core-business les questions liées à prévention et la gestion des risques en matière de santé et de bien-être au travail. Outre le fait que ce soit une obligation légale, la mise en place de politique de prévention et de gestion des risques représente un véritable investissement, d’autant plus dans un monde du travail en crise signant entre autres pénurie de talents, turn-over, démission silencieuse, absentéisme, etc.

Qu’en est-il chez les indépendants ? De quels leviers disposent-ils en matière de bien-être au travail et de politiques de prévention et de gestion des risques ?

Être indépendant, un groupe de professionnels à risque ?

Non seulement l’indépendant pense qu’il doit être expert dans les différentes dimensions de son activité mais aussi responsable de son propre bien-être.

Avant de répondre aux questions ci-dessous, tentons de dégager les particularités du statut d’indépendant qui comporte des risques en soi, qu’ils soient effectifs ou associés à des croyances ou injonctions implicites.

  1. Passion, engagement et responsabilité individuelle : à la différence d’un travailleur lié à un contrat de travail, l’indépendant a, voire « est », sa propre entreprise. En effet, tout son business, tout son chiffre d’affaires repose sur lui et sur lui seul, qu’il soit entouré d’une équipe plus ou moins grande de collaborateurs. Cela suppose une grande responsabilité et une grande pression (« tout repose sur moi », pression des moyens et des résultats) et tend ainsi à renforcer la dimension du déni à prendre soin de soi (« je n’ai pas le droit d’aller mal »), sans oublier le sentiment de solitude associé. D’un autre côté, cette liberté et indépendance sont justement ce qui est recherché et qui peut aussi être source de satisfaction au quotidien. Toutefois, cette indépendance, pour ne pas dire solitude, est-elle – ou doit-elle – être une généralité, voire une fatalité ?
  2. Injonction d’omniscience, en général, et surtout au début de son activité, l’indépendant fait tout tout seul : le contenu, la prospection, des clients, les prestations, la communication, les ressources humaines quand il y a une équipe, la facturation, … Il n’y a donc pas d’équipe support (IT, RH, COM, …) pour venir soutenir l’activité centrale. Il n’y a pas non plus d’acteurs de la prévention en cas de difficultés liées à du stress, à la surcharge de travail et ses conséquences, … Il y a donc peu de garde-fous ou de lieu « soupape », à l’exception peut-être des proches (conjoint, …) ou des partenaires (comptable, avocat, …), ces derniers étant eux-mêmes souvent indépendants.
  3. 3.Temps de travail plus long et plus intense : Pour y arriver, l’indépendant va travailler beaucoup plus que la majorité des salariés. Le temps de travail hebdomadaire est plus long que le salarié (40 heures par semaine) : entre 60 et 70 heures par semaine. L’indépendant ne compte pas ses heures, il travaille souvent le soir, les week-ends et durant les vacances, par besoin de rentabilité, par passion, par crainte de laisser le bateau seul, … Il y a donc peu de moment d’arrêt, de soupape…
  4. 4.Absence de frontière vie privée/professionnelle : De plus, l’indépendant a peu tendance à prendre du temps pour lui, et certainement au début de la création de son entreprise. Une fois que son affaire tourne, il peut enfin, parfois, insérer l’un ou l’autre moment « ressource » avec sa famille ou ses amis ou bénéficier d’un temps pour lui-même en se consacrant à son sport, ou à une activité de détente. Les indépendants sont donc souvent sur le fil, à jongler entre les heures de travail non comptées et quelques moments restreints de détente.

Les différents facteurs cités ci-dessus tendent à faire disparaitre la limite entre le professionnel et le privé. Cet effacement de cette limite est renforcé par les technologies de l’information et de la communication (smartphone, pc, …) qui permettent d’être joignable n’importe où et n’importe quand (tout, tout le temps partout), accentuant ainsi l’omniprésence ou l’hyperconnexion à son activité professionnelle.

Toutefois, est-ce une fatalité ? Leur réalité est-elle ou « doit-elle être » si différente du monde de l’entreprise ? L’indépendant.e n’est-il pas piégé dans les injonctions implicites inhérentes à l’image même de l’indépendant ?

Mettre en place une politique de prévention et de gestion des risques chez l’indépendant

A bien y réfléchir, en matière de politique de gestion des risques au sein d’une entreprise, la réalité des indépendants n’est finalement pas si différente de celle des entreprises. Certes, ces dernières sont composées de différents départements de support qui font partie d’intégrante de l’activité professionnelle mais rien n’empêche un indépendant de faire appel à de telles compétences.

Malheureusement, encore trop d’indépendants découvrent au fur et à mesure d’autres facettes de leur affaire ainsi que les frais de support y attenant. Ils se retrouvent donc souvent dépassés par une somme de difficultés financières (trésorerie, surendettement, …), administratives et comptables (fisc, TVA, …), logistiques, de ressources humaines,…

A côté d’une simplification des règlements et des obligations, il importe également d’intégrer très rapidement un volet de prévention et de gestion des risques dans leur business plan, c’est-à-dire ; à tout le moins, en amont du lancement de leur activité, au tout début de leur activité. Cela permet d’intégrer d’emblée les frais de support et de naviguer ensuite à vue. La question se pose évidemment pour les indépendants établis, qu’ils rencontrent ou non des difficultés. Quoi qu’il en soit, le vieil adage « mieux vaut prévenir que guérir » est vrai aussi pour les indépendants et la question de la santé, la leur et celle de leur activité.

Concrètement, deux possibilités, concomitantes ou non, s’ouvrent à eux :

  • développer leurs propres compétences, au risque que cela leur demande du temps qu’ils ne pourront donc pas allouer à leur core business pour lequel ils sont experts.
    et/ou
  • s’adjoindre des services externes auprès d’autres experts et spécialistes.

Quel que soit leur décision, cette gestion dynamique des risques se doit d’être globale et intégrée en ce sens qu’elle intègre non seulement la dimension individuelle (gestion du stress, sommeil, …) mais aussi et surtout la dimension organisationnelle (finance, fiscalité, ressources humaines, administration, comptabilité,…) de leur activité.

L’idée générale repose sur la prise en considération, en amont de tout business, de l’ensemble des mesures de prévention pour garantir et soutenir son activité et son indépendance, tout en préservant sa santé globale. Ce n’est pas parce que l’indépendant est seul aux manettes de son activité professionnelle qu’il doit nécessairement être seul pour tout gérer…

Plus globalement, au niveau sociétal et politique, plusieurs actions ont été menées en 2022 et 2023 par le Ministre Clarinval. C’est un premier pas, mais loin d’être suffisant. Le code du bien-être au travail devrait concerner tous les travailleurs belges quel que soit leur statut.